
Le mariage homosexuel, c'est le "bouleversement de la filiation", assure François Fillon. Une loi qui va "changer notre régime de filiation et de mariage", selon Valérie Pécresse. Un mot revient de plus en plus souvent dans la bouche des opposants au projet de loi ouvrant droit au mariage pour les couples de même sexe : celui de "filiation". Une filiation que la loi menacerait de bouleversements.
Que recouvre ce terme ? Il désigne, en droit, le lien juridique qui unit un enfant à ses parents. Il existe trois types de filiation : la filiation légitime, pour les enfants conçus pendant le mariage, qui ont automatiquement pour père le mari ; la filiation naturelle, pour les couples non mariés, le père devant faire une reconnaissance volontaire de paternité ; et la filiation adoptive, créée par un acte juridique en cas d'adoption simple ou plénière, et impliquant donc que le père et la mère se définissent aux yeux de la loi comme parents de l'enfant.
Un quatrième cas, plus récent, doit être évoqué : la reconnaissance de l'enfant issu d'une procréation médicalement assistée (PMA), qui doit être établie devant le juge ou le notaire par les parents avant même le début de la procédure médicale.
Jusqu'en 2005, on établissait une hiérarchie dans la filiation, entre enfants "légitimes" nés dans le cadre d'un mariage et ceux, "naturels", nés hors mariage. Une distinction datant de l'époque où l'on ne pouvait pratiquer de recherches biologiques en paternité, et où, l'adultère étant puni par la loi, on présupposait l'épouse mariée plus fidèle. Depuis une réforme de la filiation, cette distinction n'existe plus. Qu'ils soient issus d'un mariage ou non, les enfants ont les mêmes droits et sont considérés de manière identique aux yeux de la loi. Seul "privilège" restant au mariage : l'automaticité de la reconnaissance du père.
Quelle question pose le mariage homosexuel ? Au-delà de la reconnaissance légale des unions homosexuelles par le mariage, la question posée est celle du lien entre parents et enfants. Il est naturel dans le cas "classique" d'un enfant né d'un couple hétérosexuel, marié ou non. L'adoption crée un lien légal entre parents qui souhaitent adopter et enfant adopté. Enfin la PMA crée un autre lien légal entre un parent et son enfant, même si ce dernier n'est pas de lui.
Avec le mariage entre personnes de même sexe, la filiation ne peut être "classique". Reste donc les voies légales. Le projet de loi, outre le mariage, autorise l'adoption aux couples homosexuels. Ceux-ci peuvent déjà adopter, mais en tant que célibataires. Ils pourront désormais le faire en couple, et pourront aussi adopter l'enfant d'un conjoint dans le cas d'une adoption simple (l'enfant ainsi adopté gardant un lien légal avec ses deux parents biologiques), ou, essentiellement pour les couples lesbiens, l'une des deux conjointes pourra adopter l'enfant conçu par insémination artificielle avec donneur à l'étranger par l'autre.
L'adoption "plénière" d'un enfant étranger ou français abandonné par ses parents sera elle aussi autorisée, mais restera très largement théorique : il y a de moins en moins d'enfants adoptables et de plus en plus de demandes.
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Avec le projet de loi sur le mariage homosexuel, un enfant pourra donc, en droit, avoir deux pères ou deux mères. Ce qui, pour les opposants au projet, représente un glissement de la filiation biologique vers la filiation sociale. Mais en pratique, la filiation est déjà détachée de la biologie, que ce soit dans les cas de procréation médicalement assistée ou d'adoption.
Concrètement, que change le texte de loi en matière de filiation ? On peut discuter de la philosophie globale du texte, et juger, comme le font des sociologues, juristes et politologues dans cette tribune au Monde.fr, qu'il ne va pas assez loin et ne règle pas toutes les questions soulevées par les nouvelles formes de filiation.
Mais affirmer, comme le font certains opposants, que ce texte de loi "bouleverse" la filiation est factuellement erroné : Comme l'explique l'avocat-blogueur Maître Eolas sur son site, on ne trouve "rigoureusement rien" dans le texte du projet de loi qui viendrait modifier les articles du code civil relatifs à la filiation.
En droit, la filiation n'est donc pas "bouleversée" par cette loi sur le mariage entre personnes de même sexe. La garde des sceaux, Christiane Taubira, l'a répété sur Canal+ le 13 janvier : " Le code civil ne bouge pas sur la filiation, il n'y a pas une ligne de modifiée au titre 7 qui concerne la filiation. La filiation adoptive, qui est traitée au titre 8, qui inclut déjà le concept de parents, sera modifiée en tant que de besoin, mais rien ne change pour les couples hétérosexuels ni dans le code civil, ni dans les actes d'état civil".
Le gouvernement planche en fait sur une autre loi, touchant à la famille. Celle-ci pourrait voir le jour en mars, et elle abordera les questions de filiation, d'adoption ou d'accès aux origines personnelles. Elle devrait évoquer le statut de beau-parent, aujourd'hui absent du droit, mais aussi, selon les mots de Dominique Bertinotti, "s'interroger sur les nouvelles formes de filiation" tant hétérosexuelles qu'homosexuelles.