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Le blog de Aboubacar Fofana

Il s'agit d'un blog qui s'intéresse au devenir du continent Africain. D'où la prospective avant la proposition.

« La très problématique candidature du capitaine Moussa Dadis Camara »

par Dominique BANGOURA,
Docteur d’Etat en Science politique, professeur de Géopolitique ;
Auteur de quatre ouvrages sur la Guinée ainsi que de quatre autres sur les Armées et les questions de paix et de sécurité en Afrique
Quelques mois après sa prise du pouvoir par la force le 23 décembre 2008, le capitaine Moussa Dadis Camara, Président du Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) donne de plus en plus de signes montrant qu’il veut être candidat à la prochaine élection présidentielle prévue pour les 31 janvier et 14 février 2010.
En tirant les leçons de l’histoire politique de ce pays depuis l’indépendance, de l’expérience similaire de pays africains et de la volonté de changement exprimée par le peuple de Guinée depuis 2006, il apparaît pourtant que Moussa Dadis Camara (MDC) ne devrait pas se présenter à cette élection. Trois raisons au moins peuvent être évoquées : elles sont liées premièrement à la responsabilité et aux conséquences de l’engagement en politique (I), deuxièmement à la nature du régime politique et à l’exercice du pouvoir par le chef de la junte (II) et troisièmement aux conditions d’une alternance démocratique dans ce pays (III). Avec les massacres du 28 septembre 2009 (IV), cette question de la candidature qui taraude les esprits depuis plusieurs mois, resurgit avec encore beaucoup plus d’acuité et de gravité.
I. L’engagement politique du capitaine Moussa Dadis Camara (MDC)
Dès son arrivée au pouvoir, MDC a pris des engagements et a rassuré l’opinion nationale et internationale qu’il organiserait des élections et ne serait pas candidat. Ces déclarations ont eu des conséquences bénéfiques sur la nature de la Transition et le comportement des différents acteurs. Remettre en cause ces promesses reviendrait à changer la nature de la Transition et à compromettre son bon déroulement.
A. L’engagement aux plans interne et international
Dès le lendemain du putsch à Conakry, un communiqué lu à la radio nationale au nom du CNDD annonçait : « Peuple de Guinée, la prise du pouvoir par ton armée est un acte de civisme qui répond à la volonté de sauver un peuple en détresse. Fier d’avoir accompli cette mission, le Conseil n’a aucune ambition de s’éterniser au pouvoir. La seule raison est le souci de la sauvegarde de l’intégrité territoriale. C’est pourquoi, le Conseil s’engage à organiser des élections libres, crédibles et transparentes fin décembre 2010. Le Conseil s’engage à respecter solennellement cette déclaration ». Selon le quotidien Le Monde, « se voulant apaisant, le capitaine Camara a présenté sa prise de pouvoir comme une Transition destinée à aboutir à des élections libres et transparentes au terme desquelles « nous allons rejoindre les casernes ». Le samedi 27 décembre, devant une salle comble du Camp Alpha Yaya Diallo, MDC a rencontré tous les acteurs (partis politiques, société civile, syndicats etc.) et leur a expliqué ses intentions, notamment de nommer un Premier Ministre civil. A cette occasion, il a précisé: Je ne me présenterai pas à une élection. Enfin, dans son Message à la Nation prononcé à l’occasion du nouvel an, MDC a répété : Le CNDD et moi-même veillerons de très près à la mise en oeuvre d’un autre grand chantier : celui de la refondation de la démocratie, qui passe par la réforme de la justice, la libéralisation des ondes et l’organisation d’élections législatives et présidentielle libres et transparentes d’ici décembre 2010.
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Par ailleurs, MDC s’est engagé dès le début de sa prise de pouvoir devant la communauté internationale. L’une des premières personnalités à être reçues en audience par le Président du CNDD est Alain Joyandet, Secrétaire d’Etat français à la Coopération et à la Francophonie. Dans un communiqué officiel, ce dernier indique que le samedi 3 janvier 2009 à Conakry « il a obtenu des assurances de la part du CNDD concernant :
- la constitution rapide d’un Gouvernement sous l’autorité du Premier Ministre Kabiné Komara chargé de mettre en oeuvre la Transition ;
- l’organisation d’élections dans les plus brefs délais ;
- le fait que les membres du Gouvernement et du CNDD ne se présenteraient pas à ces élections ».
MDC a pris les mêmes engagements devant le Groupe International de Contact pour la Guinée (GIC-G) créé à l’initiative de la Commission de l’Union Africaine et dont la première réunion a eu lieu le 16 février 2009 à Conakry. A cette date, le capitaine Moussa Dadis Camara a présenté son Chronogramme de la Transition en quatre étapes et « réitéré son engagement que le Premier Ministre, les membres du CNDD et du Gouvernement ne participeront pas aux prochaines élections ».
Il ressort par conséquent que ces déclarations solennelles ont été faites par Moussa Dadis Camara en personne et en toute liberté. Elles ont été réitérées à maintes reprises, soit devant le peuple de Guinée, soit face à la communauté internationale ou en présence des deux réunis. Elles ont valeur de pacte moral et politique, de serment, d’autant plus que la Guinée se trouve sans Constitution depuis le putsch. En Afrique, dans les valeurs traditionnelles, la parole est sacrée. Si MDC est un homme, notamment devant les chefs traditionnels et religieux, devant les notables qui viennent le saluer, devant les citoyens guinéens, il doit respecter sa parole. De surcroit, il a pris ses engagements en jurant sur la Bible et le Coran. Ses déclarations avaient vocation à venir combler un vide juridique, étant donné le régime d’exception : elles engagent pleinement la responsabilité du nouvel homme fort du pays, d’autant plus qu’il s’est autoproclamé Président de la République.
B. La portée et les conséquences de l’engagement
Que se passe-t-il au début de la Transition après les déclarations rassurantes du MDC ?
Les engagements de Moussa Dadis Camara ont une portée très importante sur le plan interne. Ils ont pour effet de redonner espoir aux partis politiques, à la société civile, aux syndicats. L’ensemble de ces acteurs se réunit au sein des Forces Vives et décide de participer pleinement à la Transition qu’ils souhaitent et qu’ils qualifient d’« apaisée ». Lorsque MDC leur demande de « faire des propositions » chaque composante apporte les siennes et des concertations ont lieu. Pour la première fois en Guinée, l’ensemble des Forces Vives travaille de concert avec les autorités de l’Etat. C’est la première fois également qu’un véritable dialogue politique national, tripartite, a lieu. La diaspora guinéenne éparpillée à travers le monde acquiesce ; les sites Internet guinéens répercutent les informations et les encouragements dans ce sens ; des séminaires, des colloques, des déclarations ont lieu en particulier en Europe et en Amérique du Nord pour soutenir la Transition apaisée considérée comme étant « l’occasion de la dernière chance » entre les mains de la Guinée pour sortir du chaos. Dans ce contexte, les échéances électorales sont fixées de manière consensuelle pour fin 2009, puis ramenées à fin janvier 2010 pour la présidentielle.
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Dans la situation guinéenne, au cours des premiers mois de l’année 2009, il apparaît clairement qu’un contrat lie le pouvoir politique aux organisations de la société. Les citoyens, toutes catégories confondues (partis politiques, société civile, syndicats…) consentent à abandonner une part de leur liberté en se rangeant derrière la junte (qui leur a donné sa parole d’honneur) dans un intérêt commun : la gestion d’une « Transition apaisée » en vue d’un objectif fondamental, celui de la préparation et la tenue d’élections libres, crédibles et transparentes.
Les engagements de MDC ont également une portée significative sur le plan international. Dès le 23 décembre 2008, l’Union Africaine, la CEDEAO, l’ONU, l’Union Européenne, la Francophonie condamnent cette tentative de prise de pouvoir par la force, puis le coup d’Etat en Guinée. Cette réaction était prévisible : elle découle des traités en vigueur et des déclarations faites depuis plusieurs années par les organisations régionales et internationales. Ces positions sont consécutives d’une part, aux Déclarations d’Alger contre les coups d’Etat en Afrique et d’autre part, aux processus de transitions démocratiques amorcés sur le continent africain depuis 1990 avec la première conférence nationale au Bénin. C’est aussi une question de prévention des conflits internes. En condamnant le putsch, la communauté internationale ne pouvait pas faire moins sans se renier et sans renier les principes démocratiques auxquels elle a souscrits, d’autant plus que ces derniers connaissent une sérieuse régression sur le continent (Togo, Tchad, Mauritanie, Niger, Madagascar…).
Cependant, malgré la condamnation du putsch et sur la base des réactions favorables des Guinéens, la communauté internationale fait preuve de compréhension et de clémence envers la junte à Conakry. Elle continue à prôner le dialogue. Elle suspend le pays de ses instances, mais elle n’applique pas de sanction. Mieux, elle « accompagne » la Transition selon les mots du Dr Ibn Chambas, Président de la Commission de la CEDEAO, notamment par des moyens financiers pour ce qui ressort du retour à l’ordre constitutionnel. Elle maintient le lien avec les autorités, à condition que la junte respecte ses engagements.
Du fait des promesses faites par MDC, la Guinée bénéficie donc d’une grande souplesse de la part de la communauté internationale.
Par conséquent, il ressort clairement que du fait des engagements précoces et librement consentis par Moussa Dadis Camara, la Guinée est entrée confiante dans la Transition. Les partis politiques et la société civile ainsi que les syndicats ont fait de réelles concessions pour jouer le jeu de cette Transition apaisée qu’ils appellent de leurs voeux. La communauté internationale continue de faire preuve de patience et d’ouverture d’esprit. Par le biais du Groupe International de Contact (GIC-G), elle fait régulièrement le suivi de la Transition à Conakry.
Que se passerait-il alors si, face à la communauté nationale et internationale, le capitaine Moussa Dadis Camara rompait de lui-même son engagement ?
C. Les premiers signes de rupture
Malgré des lenteurs et des blocages politiques, la Transition semble démarrer normalement à partir de janvier 2009.Toutefois, quelques signes d’inquiétude surviennent.
Les premiers indicateurs troublants viennent des discours de Moussa Dadis Camara. Le Discours-programme du 14 janvier 2009 constitue un indice sur les intentions réelles de la junte. Contrairement à toute attente, MDC dévoile un long programme, inspiré des projets de 3
société que les partis politiques lui ont remis à sa demande et qui s’apparente donc à un programme de Chef d’Etat élu, alors qu’avec la junte, il n’exerce en principe le pouvoir que temporairement, le temps que la Transition aboutisse à une élection présidentielle libre, crédible et transparente.
Le second indice qui sème un sérieux doute dans les esprits est le Discours de Boulbinet du 15 avril 2009. A cette date, MDC s’en prend sans raison justifiée aux partis politiques et menace d’« enlever la tenue » pour se porter candidat, s’ils ne le ménagent pas. Ce discours-test a pour objet de mesurer jusqu’où il peut aller. Il fait l’effet d’une bombe tant les désapprobations fusent de toutes parts. A tel point que MDC se ravise et se réengage à ne pas se présenter à travers les déclarations de la délégation du CNDD reçue à Bruxelles à l’Union Européenne le 29 avril. Dans ce prolongement, il réitère ses engagements auprès du GIC-G lors de la troisième session du Groupe tenue à Conakry les 5 et 6 mai 2009.
En somme, il est possible d’affirmer que le Discours de Boulbinet constitue le premier acte de Moussa Dadis Camara qui contredit ses propres engagements. Est-ce un accident de parcours sans lendemain ou un choc précédent la rupture ?
Le second type d’indicateurs, ce sont les mouvements de soutien à Moussa Dadis Camara qui se multiplient. Les délégations se succèdent au camp Alpha Yaya pour aller le féliciter ou l’encourager. Chefs coutumiers ou religieux, notables, parents et ressortissants de sa région natale et d’autres régions de la Guinée, hommes en uniforme, ils sont nombreux à venir faire la cour au chef de la junte. Il est difficile, dans ces conditions, de déceler la part de sincérité et de calcul, mais toujours est-il que ces comportements de séduction troublent et biaisent le jeu politique de la Transition. Cette concurrence déloyale complique l’action des Forces Vives qui risquent d’en subir les contrecoups. La société guinéenne est tellement fragilisée socialement et économiquement, que la menace de corruption et de récupération politique pèse sur de nombreux acteurs de la Transition, non suffisamment autonomes.
Des formes d’allégeance politique se mettent rapidement en place avec les meetings organisés par le Gouverneur de Conakry, manipulant tant une faction de jeunes que de femmes. En outre, un Bloc des Forces Patriotiques est créé, comprenant d’anciennes forces conservatrices et de nouveaux groupuscules se ralliant au pouvoir.
Le troisième indicateur, et non le moindre, ce sont les volte-faces intempestifs du chef de la junte, ses signaux contradictoires, ses colères à l’emporte-pièce en public. Le coup de grâce à la Transition apaisée en Guinée est finalement donné en présence du GIC-G lors de sa sixième session les 3 et 4 septembre à Conakry. A cette date, revenant à la charge et faisant voler en éclats tout espoir d’apaisement, Moussa Dadis Camara rompt son serment. En aparté, il glisse aux diplomates présents : « Je vais me présenter parce que tout le peuple me le demande. Si je ne le fais pas, je risque de perdre la confiance du peuple ». MDC fait allusion aux récents mouvements de soutien d’ « élus locaux » venus le plébisciter à sa demande, moyennant des compensations matérielles ; or, chacun sait comment ces « élus » sont arrivés à leur poste sous le régime de feu Lansana Conté, aucune élection n’ayant été crédible et transparente.
Dès lors, le pacte avec le peuple (puisque le Forum des Forces Vives constitue aujourd’hui la seule force légalement constituée représentant le peuple) ayant été rompu unilatéralement de son fait, MDC en porte la responsabilité. Il perd du coup toute crédibilité politique sur le plan national. Il a brisé la confiance. Son acte est dénoncé. Les Forces vives, si elles veulent survivre, et si elles veulent lui faire barrage pour sauver l’issue de la Transition, doivent réagir et s’organiser pour peser. Un rapport de forces s’engage entre la junte d’une part, et les
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leaders politiques passant dans l’opposition d’autre part, auxquels se joignent les forces sociales et syndicales.
Ce manque de responsabilité, de constance, cette trahison de Moussa Dadis Camara sont les premières raisons qui permettent de penser que le président du CNDD ne doit pas être candidat à sa propre succession ; il n’en est pas digne. Il n’est pas à la hauteur de cette fonction. Il n’est pas un homme d’Etat, quoi qu’il en dise. La seconde raison relève de l’exercice du pouvoir qui s’avère plus que chaotique et extrêmement dangereux pour le peuple : c’est une nouvelle dictature qui s’instaure et cela, au XXIe siècle, n’est plus acceptable.
II. La nature du régime et l’exercice du pouvoir
Le régime politique guinéen qui s’installe au début de l’année 2009 est un régime militaro-civil à dominante militaire. C’est un régime autoritaire qui n’admet pas l’expression publique de divergences et encore moins la contestation à son encontre. Il convient donc d’étudier la pratique de ce pouvoir, pour savoir s’il doit être maintenu et reproduit en acceptant la candidature de Dadis Camara ou de l’un de ses hommes à la prochaine présidentielle.
A. La concentration des pouvoirs
La Loi fondamentale qui définit les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et détermine leurs relations mutuelles a été suspendue avec l’avènement du CNDD. Depuis, MDC s’accapare les pouvoirs un à un et les concentre entre ses mains.
Le pouvoir exécutif est détenu conjointement par le CNDD, le Président du CNDD et le Gouvernement. Moussa Dadis Camara s’est autoproclamé Président de la République (alors que la République n’existe plus), Chef de l’Etat et Commandant en Chef des Armées. Il cumule toutes les fonctions exécutives. Un Premier Ministre, Kabiné Komara, a bien été nommé, mais ce dernier joue un rôle des plus effacés. En réalité, MDC gouverne par décrets et ordonnances. En tant que Président du CNDD, il est omniprésent et médiatise tous ses déplacements, ses audiences à travers le « Dadis show », longuement retransmis chaque soir à la télévision.
Le vrai pouvoir judiciaire est délaissé. Il n’est pas jugé prioritaire par le CNDD et son Président. Les cours et tribunaux fonctionnent au ralenti par manque de moyens humains et matériels. Le Ministre de la Justice est un militaire, ce qui est une violation du principe d’’indépendance de la Justice. Les magistrats ont fait grève en juin 2009 pour dénoncer les dérives du régime ainsi que la création d’un Secrétariat d’Etat chargé des conflits, une structure parallèle qui ne dit pas le droit et qui applique ce que dicte la junte. En outre, Moussa Dadis Camara adopte une posture de procureur dans la lutte très médiatisée contre la corruption et les narcotrafiquants. Sur ce point, si cette lutte est justifiée sur le fond, en revanche, la méthode utilisée est contestable. Toutes les garanties en matière de présomption d’innocence ne sont pas remplies. En septembre 2009, un Collectif des avocats dénonce les pratiques en cours et les mauvais traitements infligés aux détenus.
Le pouvoir législatif n’existe pas. L’Assemblée nationale a été dissoute au moment de l’arrivée de la junte au pouvoir. Certes, il y a un projet de création d’un organe législatif provisoire appelé Conseil National de Transition (CNT), mais bien des interrogations et doutes subsistent sur son mandat, sa composition, sa durée, son indépendance vis-à-vis du
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CNDD qui dispose lui aussi de compétences similaires. Un premier projet d’ordonnance avait été présenté le 24 avril 2009 par une délégation du CNDD en visite à Bruxelles ; ce projet avait été contesté par les Forces vives car il ne répondait pas aux exigences d’un véritable organe législatif et il était inféodé au CNDD. Une nouvelle version avait été proposée par le Ministre Secrétaire permanent du CNDD le 27 avril. C’est sur cette base que les Forces vives s’étaient retrouvées et mises d’accord. Elles avaient ensuite négocié début mai, avec le CNDD, un projet d’ordonnance portant création du CNT avec un mandat précis et une répartition des membres. Cependant, entre-temps, le texte été modifié unilatéralement par la junte. Les 163 membres prévus sont portés à 244 sans consultation de la classe politique et de la société civile. L’objet de cette modification est d’introduire des membres entièrement acquis à la cause de la junte. C’est la raison pour laquelle le Forum des Forces Vives rejette ce CNT qui prend des allures de caisse de résonnance du CNDD.
Il ressort de cette analyse une confusion des pouvoirs au profit du capitaine Moussa Dadis Camara. Il va de soi que la reproduction de ce système, après des élections, serait contreproductive pour la Guinée.
B. L’absence de restauration du cadre constitutionnel
Une Constitution, des Lois organiques, un Code électoral sont nécessaires pour aller aux élections. Il est donc impératif de se pencher sur les étapes à franchir en vue du retour à l’ordre constitutionnel, notamment par la révision de la Constitution et du Code électoral. Jusqu’à présent, dix mois après le coup d’Etat et quatre mois avant l’élection présidentielle prévue pour fin janvier 2010, rien n’a encore été fait dans ce sens, alors que le Chronogramme de Moussa Dadis Camara, présenté au Palais du Peuple à Conakry le 16 février 2009 devant le Groupe International de Contact pour la Guinée (GIC-G), prévoyait quatre étapes, dont la première concernait « les organes, le cadre et les instruments de la Transition », notamment le CNT chargé de cette révision ; la troisième portant sur « le travail constitutionnel consacré à la Loi Fondamentale ».
De même, le Chronogramme de Moussa Dadis Camara avait prévu « le lancement, dans les meilleurs délais, des Journées de concertation nationale ou du Forum consultatif inclusif et participatif ». Dans son discours du 29 février 2009, MDC convoquait ce forum pour le 4 avril afin de permettre aux acteurs de la Transition de réfléchir ensemble, de débattre, et d’adopter une feuille de route (de la Transition) de manière consensuelle. La société civile, en particulier le CNOSCG, avait préparé un projet de concertation. L’avantage de cette concertation aurait été de donner des bases solides à la Transition sur le plan institutionnel et de l’assurance à la gestion du processus. Malheureusement, ce processus a été interrompu quelques jours plus tard puis annulé par la junte.
Les conséquences sont graves : par manque de réflexion et de discussion sur la Transition, aucune règle n’est fixée, aucune promesse n’est tenue. C’est la porte ouverte à toutes les improvisations, à l’amateurisme le plus total avec des risques prévisibles de dérapages. La Transition subit des blocages importants : mi-septembre 2009, il n’y a toujours pas de Premier Ministre de Transition, de Gouvernement de Transition, de Parlement de Transition ou de Conseil National de Transition (CNT). La Transition, sur le plan institutionnel, n’a aucune effectivité. Elle n’en a que le nom.
Or, il importe de procéder à la révision de la Constitution et à son adoption. Il convient de revenir à la Constitution de 1990 qui pose les principes d’un Etat de droit démocratique et
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prévoit la limitation du pouvoir (durée du mandat présidentiel : 5 ans, nombre de mandats : deux ; le premier étant renouvelable une seule fois ; âge des candidats : minimum : 40 ans, maximum : 70 ans) au besoin en réaménageant certains articles. La révision de la Constitution devrait se faire par un Conseil National de Transition (CNT) compétent, ayant vocation législative et siégeant en tant que Parlement de la Transition durant toute la durée de cette dernière. L’adoption de la Constitution devrait se faire soit par référendum soit par vote des membres du CNT à la majorité qualifiée (les deux tiers des députés selon l’article 91 de la Constitution). Toutefois, rien de tel n’est engagé pour le moment.
C. Violations des droits et libertés, populisme, insécurité
Dans tout système démocratique, les droits des citoyens et les libertés publiques sont respectés et des contre-pouvoirs sont prévus pour contrebalancer l’influence des autorités. L’ordre l’emporte sur l’insécurité. Cela n’existe pas en Guinée : ni dans le régime de MDC, ni précédemment sous les régimes de Lansana Conté et de Sékou Touré
Lors de son avènement au pouvoir, le CNDD a suspendu l’activité des partis politiques et des syndicats. Il l’a rétablie dans les textes par la suite, mais n’a jamais permis aux partis politiques de tenir librement des meetings à l’intérieur du pays. L’UFDG a du rebrousser chemin sur ordre des autorités du CNDD ; le Front uni pour la démocratie et le changement (FUDEC), un nouveau parti qui s’engage pour la refondation de l’Etat, a été obligé d’écourter une campagne de sensibilisation de ses militants à l’intérieur du pays.
Le CNDD a supprimé l’accès des partis politiques aux médias d’Etat et les émissions à caractère politique dans les médias privés. C’est une atteinte à la liberté d’opinion et d’expression des citoyens ; c’est une violation de la liberté d’action et de fonctionnement des partis politiques pourtant légalement constitués, alors qu’au même moment, le CNDD et son Président continuent de faire la une de tous les journaux télévisés. Cette situation montre que le combat politique et médiatique ne pourra pas être loyal pendant le processus électoral et qu’il se fera au détriment des partis qui veulent le changement.
En outre, les leaders politiques sont fréquemment pris à partie publiquement. Ils sont l’objet d’insinuations mensongères, de diffamation, d’atteintes à leur vie privée, cités nommément par le chef de la junte dans le but de les déstabiliser ou de diviser la classe politique. Certains leaders comme le président de Nouvelles Forces Démocratiques sont menacés de mort et victimes d’actes d’intimidation, notamment de tentative d’arrestation à domicile par des militaires.
Sur le plan des contre-pouvoirs, le Conseil National de la Communication (CNC) qui a pour mission de « garantir l’impartialité du service public de radiodiffusion-télévision, de veiller à la qualité et à la diversité des programmes » n’a aucune effectivité. De même, le Conseil Economique et Social a été remis en vigueur, mais il n’a aucune existence sur le terrain.
L’action de Moussa Dadis Camara s’apparente à du populisme. Il prend le peuple à témoin, l’interpelle pour telle ou telle nomination, révoque sur le champ collaborateurs, cadres et ministres en public. Il insulte son Premier ministre et les images passent en boucle à la télévision d’Etat. Cette pratique montre son aversion pour l’administration, pour l’exercice de la politique par les gouvernants. Cela s’explique par son absence d’expérience politique et son incompétence à gouverner. D’ailleurs, s’il a choisi de mettre l’accent sur la lutte contre la corruption et les narcotrafiquants, c’est parce que c’est un domaine qu’il connaît pour avoir
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côtoyé et fréquenté ce milieu. Il tient également par ce biais à mettre ses protégés à l’abri. Cette lutte est toutefois sélective ; elle n’est pas basée sur le droit. Cette façon de se mettre en scène est populaire, cela plait au peuple qui croit qu’enfin les choses changent ; mais en réalité, rien ne progresse. Les conditions de vie et de travail restent aussi difficiles qu’auparavant et en quelques mois, c’est au tour de la junte de se prendre elle-même au piège de la corruption et des détournements de fonds publics.
Le bilan de MDC est dérisoire, malgré son ambition démesurée. Dix mois après son arrivée au pouvoir, il n’y a toujours ni eau courante ni électricité à Conakry et les prix des denrées de première nécessité restent beaucoup trop élevés voire inaccessibles pour la grande majorité de la population.
En outre, de par son caractère fougueux et incontrôlable, son état de psychopathe, son tempérament paranoïaque, le capitaine Moussa Dadis Camara, portant invariablement son treillis, son béret rouge et ses lunettes fumées se réfugie derrière l’improvisation, l’amateurisme et la violence politique. Il se croit au-dessus de tout. Son comportement est extrêmement dangereux pour la Guinée.
De même, le comportement des forces armées et de sécurité dans les quartiers, en ville et à l’intérieur du pays est gravissime et plus que préoccupant. Les exactions à l’encontre des populations civiles se sont intensifiées courant 2009. Malgré les appels répétés des organisations de défense des droits de l’homme, la Commission nationale d’enquête (dont la loi portant création avait été votée en mai 2007) n’est toujours pas effective. Moussa Dadis Camara avait pourtant promis, pour l’étape n°4 de son Chronogramme, « la mise en place d’une Commission Vérité, Justice, Réconciliation, la poursuite de l’enquête sur les événements de juin 2006, janvier et février 2007 (répression meurtrière de manifestations) ». Mais à ce jour, rien n’est entrepris dans ce sens. On imagine d’ailleurs mal comment il pourrait diligenter une telle enquête, sachant que lui et certains proches du CNDD, tels que le Ministre Pivi, étaient acteurs de ces violences à la fin du régime Conté.
En conclusion, après analyse, le constat ne souffre d’aucune ambiguïté. Le régime de Moussa Dadis Camara viole le principe démocratique de séparation des pouvoirs ; il n’engage aucune action pour la restauration du cadre constitutionnel ; il ne respecte ni les droits de l’homme ni les libertés publiques et fondamentales, en particulier celle des médias ; il entrave le fonctionnement des partis politiques, des organisations de la société civile et des syndicats. Il menace les dirigeants civils et politiques qui ne font que leur devoir. Peut-on accepter le maintien d’un tel régime et sa reproduction au cours d’élections qui seraient organisées par lui?
III. Les conditions d’une alternance démocratique
La troisième raison majeure permettant de dire que Moussa Dadis Camara, ou l’un des membres du CNDD ou du Gouvernement ne devra pas être candidat à la prochaine élection présidentielle en Guinée, est liée aux conditions d’une alternance démocratique.
A. Enjeux et scénarios
Depuis l’indépendance en 1958, la Guinée n’a connu aucune élection libre, crédible et transparente. La dictature civile de Sékou Touré puis le régime militaire et autoritaire du général Lansana Conté s’y sont violemment opposés tant pour les présidentielles, les
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législatives que les élections locales ou communautaires. De ce fait, le pays a besoin d’un profond renouveau politique et les Guinéens ont massivement montré qu’ils voulaient ce changement lors des grèves, manifestations et émeutes des trois dernières années. Des centaines de citoyens dont une majorité de jeunes ont ainsi payé de leur vie, lors des massacres de juin 2006 et de janvier-février 2007, leurs revendications pour le changement.
Or, le changement n’est pas possible sous Moussa Dadis Camara, car ce serait la répétition de l’histoire, l’option du « changement dans la continuité », qui a déjà été un échec avec l’avènement du Gouvernement Kouyaté à la fin du régime Conté.
Le véritable changement ne peut venir que par une alternance au pouvoir et l’avènement d’un régime démocratique. L’alternance signifierait l’élection d’un nouveau dirigeant sur la base de son projet de société, de son programme de gouvernement, de son intégrité morale, de son sens des responsabilités, de ses compétences avérées pour assumer une telle oeuvre de refondation. Cependant, une alternance démocratique n’est possible que si les conditions d’un scrutin libre, ouvert et juste sont réunies.
Il va sans dire que si le capitaine Moussa Dadis Camara se présente, la prochaine élection présidentielle sera un gâchis de plus, un bond en arrière pour le pays. Cette élection ne pourra être que contestée car les fraudes massives l’emporteront en amont et en aval du processus électoral. Si MDC est candidat et organise cette élection : l’élection sera truquée et les résultats en sa faveur sont connus d’avance. Ce serait une insulte au peuple de Guinée.
Si MDC n’est pas candidat mais organise l’élection, il placera un candidat qui lui est favorable et qui remportera les suffrages à l’issue de fraudes. Ce scénario ne fait aucun doute.
Si MDC « ôte la tenue » comme il le dit, pour se présenter en tant que civil, il faudrait obtenir toutes les garanties pour que les élections puissent devenir crédibles : démission de MDC de l’armée, démission du CNDD, démission du Gouvernement Komara, démission ou destitution de tous les préfets et gouverneurs nommés par lui. En outre, il faudrait prévoir la mise en place d’un Gouvernement de Transition dont les membres ne seraient pas candidats et qui, pour une courte durée n’aurait qu’une seule mission : organiser l’élection présidentielle. Ce scénario est à la fois très improbable et très risqué. Improbable, car MDC ne démissionnera certainement pas de l’armée. Risquée, car MDC a déjà placé ses pions dans tout le pays et a déjà acheté de nombreuses voix. A quelques mois des élections, il est déjà en campagne avec tous les moyens de l’Etat placés à sa propre disposition. Il entrave sévèrement dans le même temps le fonctionnement des partis politiques.
Le cas récent du Gabon montre que malgré une transition constitutionnelle négociée, qui s’est déroulée sans violence jusqu’au jour du scrutin, ce pays n’a pas été épargné par un coup d’Etat électoral. Ali Ben Bongo Ondimba avait dû démissionner deux semaines auparavant de son poste de ministre de la Défense, mais cette précaution n’a pas suffit, car il avait déjà préparé sa victoire de longue date.
En conclusion, si le peuple de Guinée veut le changement et l’alternance, il importe qu’il comprenne que ce changement est impossible avec Moussa Dadis Camara et que ce dernier fait tout pour se maintenir au pouvoir, avec ou sans élection.
B. Les défis démocratiques à relever
Le scénario d’une alternance démocratique permettant le retour à un régime civil légitime ne peut survenir que si certains défis sont relevés, en particulier : la volonté politique du chef du CNDD d’aller dans ce sens (ce qui s’avère plus que problématique) ; l’indépendance et le
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fonctionnement régulier de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) parallèlement à la reprise du processus électoral ; le consensus du Forum des Forces Vives sur la Transition.
Or, nous constatons que le Président du CNDD n’a pas la volonté politique d’organiser une élection présidentielle juste et honnête début 2010. Nous savons également qu’il y a un risque de manipulation de la CENI étant donné sa composition et son fonctionnement.
Ces deux obstacles à une alternance démocratique ne peuvent être levés que par une union sacrée des Forces vives. Pour la première fois en Guinée, les Forces vives, qui sont composées des partis politiques, des leaders syndicaux et des organisations de la société civile se concertent et prennent des positions communes pour la gestion de la Transition.
C’est ainsi que d’un commun accord, elles décident de l’organisation d’un grand meeting pacifique le 28 septembre 2009, ayant pour objectifs de montrer leur capacité de mobilisation face à la junte d’une part, et de protester contre l’éventuelle candidature du capitaine Moussa Dadis Camara à la prochaine présidentielle d’autre part.
Le choix d’un meeting au stade est à la fois symbolique et sécuritaire : la date rappelle le référendum historique ayant conduit le pays à l’indépendance en 1958 ; et surtout, les Forces Vives veulent éviter une marche qui pourrait amener des dérives de la part des forces armées et de sécurité, comme le pays en a connues en 2006-2007.
IV. Les massacres du 28 septembre 2009
Ces interrogations profondes sur les futures élections et sur les errements de la Transition ont lieu alors que des événements inédits en Guinée vont se produire : les massacres du 28 septembre 2009.
A. L’irréparable a été commis
A cette date, avec la répression armée sans précédent jetée contre des forces politiques réunies pacifiquement dans un stade pour un meeting, le régime politique de MDC prend un nouveau caractère. Il passe d’un régime autoritaire à un régime répressif et dictatorial. A l’autoritarisme en vigueur s’ajoute désormais une violence politique et une barbarie sans précédents : l’ONU et les organisations guinéennes de défense des droits de l’homme reconnaissent de 157 à 211 morts selon les sources, la plupart tués par balle à bout portant dans l’enceinte, certains étant égorgés, ainsi que le viol massif des femmes, auxquels il convient d’ajouter plus de 1200 blessés. Les leaders politiques qui se trouvent au premier rang ne sont pas épargnés : François Lonsény Fall (FUDEC), Sydia Touré (UFR), Cellou Dalein Diallo (UFDG), Mouctar Diallo (NFD), Aboubacar Sylla (UFC), Jean-Marie Doré (UPG) sont tabassés, sauvagement molestés et blessés, certains gravement atteints par les militaires. Le lendemain, les exactions continuent dans les quartiers de Conakry. Des blessés affluent de partout dans les hôpitaux tandis que des dizaines de cadavres sont emmenés par camions à destination inconnue par des soldats. Les commanditaires et les exécutants présents dans le stade sont formellement reconnus : ce sont les proches de Dadis Camara, des éléments de sa garde rapprochée et du Bataillon autonome des troupes aéroportées. Les reportages avec des photos, les enregistrements vidéo pris sur les lieux du drame, les témoignages des victimes et de leurs familles sont atroces tant l’horreur a atteint son comble. Nul doute que ces crimes seront qualifiés de crimes contre l’humanité par la justice pénale internationale.
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Dans un tel contexte, la commission nationale d’enquête annoncée par le capitaine Moussa Dadis Camara n’a aucun sens : peut-on être à la fois juge et partie ? Lui qui, à longueur de journée, répète qu’il est le « Président de la République, Président du CNDD, Chef de l’Etat, Chef suprême des Armées » ne peut se soustraire à sa responsabilité, quoi qu’il en pense. Les témoins sont formels et les preuves sont données : ce sont des hommes de MDC qui sont à la tête des tueries du 28 septembre. Cette commission nationale, si elle est constituée, n’a en fait qu’un seul objectif : permettre à la junte de gagner du temps vis-à-vis de la Cour pénale internationale qui pourrait appliquer le principe de complémentarité. Cette commission interne ne serait qu’un leurre et une manoeuvre de la junte pour éviter de se trouver dans les filets de la justice pénale internationale.
L’irréparable a été commis. Il y a désormais un avant et un après-28 septembre en Guinée. Il ne suffit plus de dire que Moussa Dadis Camara ne doit pas être candidat à la prochaine présidentielle ou doit opter pour une position d’arbitre neutre. Cet homme est un bourreau : il a le sang de civils innocents sur ses mains.
Il n’est pas possible pour les leaders politiques et sociaux de s’asseoir avec lui à une table pour un quelconque dialogue. Il faut d’abord établir les faits, situer les responsabilités des massacres et en tirer toutes les conséquences. La justice doit faire son travail en toute indépendance et la lutte contre l’impunité doit avoir un début de commencement en Guinée. Car depuis Sékou Touré et en passant par le régime de Lansana Conté, rien n’a jamais été fait dans ce sens, malgré un passé obscur et d’innombrables drames humains. Il faut ensuite rapidement trouver des mesures de protection des civils et des leaders politiques contre les mesures de rétorsion venant du CNDD.
B. Les réactions internes et internationales
Les réactions à ces massacres sont immédiates et vives, tant sur le plan interne qu’international.
Les Forces vives de Guinée ne tardent pas à publier leur position dans un Communiqué datant du 30 septembre. Elles exigent la restitution des corps des victimes, le recensement des disparus, la prise en charge médicale des blessés, la libération des détenus, la réparation des domiciles saccagés et la restitution des biens dérobés ; elles lancent un appel pressant à la CEDEAO, à l’Union Africaine et au GIC-G pour l’envoi en Guinée d’une « Force de paix chargée de protéger les populations guinéennes contre les forces armées déchaînées que le chef de la junte lui-même dit ne pas pouvoir contrôler » ; elles lancent un appel aux organisations compétentes pour préparer « un dossier d’accusation afin de traduire les responsables et commanditaires identifiés des massacres de nos populations devant le Tribunal Pénal International pour crimes contre l’humanité » ; elles décident d’installer « un organe consensuel et efficace devant mener la Transition en raison de la disqualification du CNDD et de son Gouvernement en tant que force dirigeante ».
De son côté, la communauté internationale condamne immédiatement les tueries. Le Conseil de Sécurité de l’ONU, dans une résolution du 30 septembre, exhorte les autorités guinéennes à mettre fin aux violences, à traduire leurs auteurs en justice et à libérer tous les prisonniers politiques. Le Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme appelle à une enquête indépendante. Le Secrétaire général Ban Ki-moon constitue une Commission d’enquête internationale.
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La France et les Etats-Unis réclament ensemble une telle Commission. La France, par la voix de son Ministre des Affaires étrangères déclare « qu’on ne peut plus travailler avec M. Camara et qu’il faut qu’il y ait une intervention internationale »; il compare MDC à Idi Amin Dada. A Washington, la Secrétaire d’Etat demande à la junte de quitter le pouvoir.
Le Commissaire au développement et à l’aide humanitaire de l’Union Européenne exige des poursuites judiciaires contre la junte et son chef, qualifiant les actes perpétrés de « crimes contre l’humanité ».
Le bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) affirme le 15 octobre qu’un « examen préliminaire de la situation en Guinée » est ouvert, afin de déterminer si des crimes de la compétence de la Cour ont été commis. Rappelons que la Guinée a ratifié le Traité de Rome ; elle est partie au statut de la CPI depuis 2003.
La CEDEAO nomme un médiateur en la personne du Président Blaise Compaoré qui se rend à Conakry quelques jours après le drame. Elle organise une rencontre du Groupe International de Contact-Guinée à Abuja le 12 octobre, en présence des leaders politiques et sociaux guinéens et d’une délégation de la junte au pouvoir.
Le Communiqué final de la huitième session du GIC-G publié à l’issue de cette rencontre est formel : condamnation des massacres, demande (à la junte) de libération des détenus, de remise des corps des victimes aux familles, de suppression des entraves à la liberté d’expression et de manifestation, de protection des populations civiles et des leaders politiques, syndicaux et sociaux ainsi que des ressortissants étrangers ; demande (à la CEDEAO) de constitution d’une « mission internationale d’observation et de protection », d’ « embargo total sur les armes » à destination de Guinée ; rappel au Président du CNDD pour « qu’il formalise l’engagement qu’il a pris » à ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle, comme le lui a demandé le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union Africaine et ce, avant le 17 octobre 2009 ; soutien total « sur la base du retrait du CNDD, de nouvelles autorités de la Transition ».
L’Union Africaine à son tour exige du chef de la junte guinéenne une clarification définitive de sa position sur sa participation ou non à la prochaine présidentielle. L’appel est lancé par le CPS qui, depuis Addis Abeba, donne un ultimatum d’un jour, jusqu’au samedi 17 octobre 2009 à Dadis Camara pour s’exprimer. Jean Ping, le Président de la Commission prévient que faute de retrait d’une telle candidature, le CPS imposera des sanctions.
Dans ce contexte, la CEDEAO convoque un sommet extraordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernement à Abuja le 17 octobre, sur la crise en Guinée. Dans son Communiqué final, l’organisation sous-régionale condamne les massacres ; encourage le facilitateur Blaise Compaoré dans sa mission ; l’exhorte à « rétablir le dialogue entre les acteurs politiques guinéens en vue : - de mettre en place une nouvelle autorité de la Transition ; - s’assurer que ni le Président et les autres membres du CNDD, ni le Premier Ministre ne seront candidats aux prochaines élections présidentielles ; - déterminer les étapes du chronogramme de Transition ». La Conférence décide également d’imposer un embargo sur les armes.
A l’issue de ce Sommet, les premières réactions sont mitigées : certes, la CEDEAO s’est penchée très rapidement sur la situation post-massacres en Guinée, mais les résultats sont bien en-deçà des espérances et surtout des revendications du Forum des Forces Vives. Ces dernières se retrouvent presque au point de départ : sans protection face à la junte (ce n’est pas l’embargo qui va changer la donne, alors que la junte, pendant ce temps traite déjà avec
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l’Ukraine) et sans garantie que le capitaine Moussa Dadis Camara sera hors-jeu pour la suite de la Transition et la question des élections. La gestion de ce dossier est laissée à l’appréciation du facilitateur ; cette décision ne peut que conforter la junte qui reste en place comme si de rien n’était et qui gagne du temps. D’ailleurs, Moussa Dadis Camara jubile quelques heures plus tard en répondant à l’ultimatum de l’Union Africaine : alors qu’il lui était demandé de renoncer par écrit à sa candidature, il refuse, dans la lettre transmise durant la nuit à l’Union Africaine, à la CEDEAO et au médiateur Compaoré de séparer la question des élections à celle du règlement global de la crise.
Son Ministre des Affaires étrangères, Alexandre Cécé Loua, explique le lendemain 18 octobre sur les ondes de radio France internationale que « la sagesse commande que le médiateur se charge de la question dans tous ses aspects. Au médiateur de proposer une solution à la communauté internationale et à ses mandants » !
Au moment où nous concluons cette analyse, nous pouvons dire que les pays occidentaux ont suivi unanimement les recommandations du Forum des Forces Vives de Guinée, par principe ou par conviction. En revanche, les Chefs d’Etat ouest-africains ont fait preuve d’une extrême retenue et ont été partagés entre les partisans de la fermeté d’une part, et les défenseurs du dialogue d’autre part. Ce sont les seconds qui ont emporté cette manche, avec un rapport de forces pourtant très tendu et très risqué à Conakry
Cette position de la Communauté sous-régionale ne convainc pas ; pire, elle inquiète, quand on sait que le niveau sous-régional influe sur le niveau régional, et que ce dernier pèse sur le niveau international. Les civils guinéens aux mains nues, les leaders politiques et sociaux seront-ils abandonnés à leurs bourreaux ?
Ce comportement frileux ne répond pourtant pas à la réalité du terrain en Guinée. La junte est aux abois. Après les massacres, une opération villes mortes de deux jours organisée par les syndicats en signe de deuil et de prières, a été massivement suivie. En revanche, une marche à l’appel du CNDD a été annulée au dernier moment le 17 octobre ; peu avant l’heure du déclenchement prévu, aucun mouvement n’était visible dans la capitale. En quelques jours, trois Ministres et deux Conseillers de Moussa Dadis Camara démissionnent. Des tirs sporadiques sont entendus au camp Alpha Yaya où siège la junte, signes de tensions entre les membres du CNDD.
Si la CEDEAO et l’Union Africaine ne se ressaisissent pas pour prendre urgemment des mesures de sécurisation et de protection des Forces vives, les leaders politiques et syndicaux risqueront à nouveau leur vie. Ils ne peuvent rien entreprendre sans danger pour eux-mêmes, pour leurs membres et militants voire pour leurs familles.
Les questions qui se posent au moment où nous concluons sont les suivantes : quelle stratégie de départ pour la junte ? Comment y parvenir avec succès, sans mettre en péril de nouvelles vies humaines, sachant que Moussa Dadis Camara et son entourage ne feront rien pour faciliter ce scénario ? Comment renouer avec un processus démocratique durable dans ce pays, seul gage d’une véritable sortie de crise ?
Dominique BANGOURA, Paris, fin octobre 2009
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